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Contes de Baba Lune
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Contes de Baba Lune
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1 novembre 2022

La croix des marins, sur les rives de la Vilaine

croix des marins 2022

 

  Savez-vous que, au croisement de la vilaine et du canal de Nantes à Brest, il y a un calvaire ? On l’appelle la croix des marins. C’est au pied de ce calvaire que Yann a cru devenir fou. Yann, oui Yann Cornic, qui habite sur la colline au pied du château d’eau.

 

 

  Ce soir-là, Yann est tout chose. Il faut vous dire que le matin, il a enterré sa mère. Et vous savez, les enterrements, on y rencontre des gens qu’on n’a pas vu depuis longtemps, ça remue les souvenirs, les émotions, ça vous farcit la tête de bruits, de discussions. Et puis la famille là, ça commence à l’étouffer ! Il a besoin d’être seul avec ses pensées.Il prend ses godillots, sa veste, et il sort dans la nuit.

 

 

   Dehors, l’air est lourd, un orage a tourné tout l’après-midi, autour du marais et de la ville. Ce soir l’humidité remonte du sol dans une brume poisseuse. Il prend le chemin devant la maison, traverse l’ancien terrain de foot, il lui semble qu’il entend la fanfare, de la fête de la jeunesse. Ça le fait sourire. Puis il passe devant la statue du saint local, un nommé Conwoïn.  « Salut Yann Cornic » Mais, Mais… mais elle lui a parlé la statue ? Il se dit qu’il est bien fatigué !

   Il marche, comme un automate, les souvenirs tournoient et l’embrouillent, il ne sait plus où il est. La brume se fait de plus en plus épaisse. Le jardin public, la gare, la place, la sous-préfecture, Mais…ça lui pique les yeux, il se met à courir comme un fou pour passer de l’autre côté du passage à niveau. Comme quand il avait dix ans, avec sa sœur, en rentrant de l’école, ils avaient traversé la manif sous les gaz lacrymogènes, pour rentrer à la maison. Le passage à niveau ! mais il y a longtemps qu’il n’existe plus.

 

 

   Il titube, désorienté, le clocher, l’épicerie, la papeterie, le photographe, la grande rue, la pâtisserie, toutes les boutiques de son enfance ! Devant la droguerie, une portière de voiture s’est ouverte, il fait un bond ! Comme celui qu’il avait fait avec son vélo. Bah, ce ne sont que des souvenirs.

 

 

   Le brouillard est de plus en plus intense, étouffant, il presse le pas et continue il sait que le pont est là, à gauche la vilaine, à droite le canal. Il est pris de vertige ! La sirène des pompiers dans la nuit, il l’entend, la fumée, il la sent. Oui, l’incendie des frigos, et là au petit matin la croûte de beurre et de petits pois sur l’eau du canal. La rue de l’Union, sévère, sinistre, où il habitait avec toute sa famille, la rue du port. Le dentiste, aie ! L’école maternelle. Tout au bout, Le château du Mail. Stop, territoire interdit, il tourne à droite vers le bassin à flots. En face de lui, il ne voit plus rien, tant le brouillard est épais. Mais là, le tas de sable où il venait jouer aux petites voitures avec les copains et…, le gardien de l’usine Garnier qui venait les déloger.  « Allez ouste ! »

 

 

 

  Il avance tel un automate, comme attiré par une force irrésistible. Il ne voit plus rien, Il entend des voix, des ombres le frôlent. Puis là devant, émerge la croix des marins, comme dans un rêve. Ça commence plutôt à devenir un cauchemar !

 

 

   Une voix : Et bien Yann Kornic, te voilà enfin, on t’attendait ! Bienvenu au royaume des morts ! Regarde, ici sont rassemblés tous les morts de la vilaine et crois-moi ça fait du monde, depuis des siècles qu’on siège ici. Mais Personne ne se souvient de nous ! Faudrait peut-être que quelqu’un fasse quelque chose. Alors voilà, c’est toi, qui vas faire ce qu’il faut. On veut un monument aux morts de la Vilaine, avec les noms de tous ceux qui sont là. Mais avant, tu dois nous montrer ce que tu as dans les tripes, si tu réussis l’épreuve, tu repars chez les vivants, sinon, tu restes avec nous et on attend le prochain qui passera par là.

 

 

Yann n’a pas le temps de dire ouf qu’il est embarqué dans une danse endiablée. Et c’est une succession de gavottes, de ridées, laridés, ronds de st Vincent, et plus encore. Ça a duré, il n’en pouvait plus, les pieds ont commencé à cuire dans ses chaussures, mais il n’a pas eu le temps de reprendre son souffle qu’ils lui ont demandé de chanter.

 

 

  Allez nous on danse, attention perd pas la cadence hein !

   Ils l’ont fait répéter, répéter, ils n’en avaient jamais assez. Il ne savait même plus ce qu’il répétait, les paroles s’embrouillaient dans sa tête. Sa voix a commencé à dérailler.  Et dans un tourbillon, on lui a mis une bombarde dans les mains. Mais, mais, il ne savait pas jouer de ça lui ! 

Allez joues ! Il a tiré quelques canards, tout piteux. Là, on lui a arraché la bombarde des mains.

Stop tu vas réveiller les vivants ! Bon raconte nous des histoires à la place. Tu sais faire ?

Alors là pas de problème, ça, il savait faire. Il a commencé, s’est embarqué sur la farandole de la parole et jusqu’au bout de la nuit, il a causé, causé, causé, encore une, encore et encore …

 

 

   Au petit matin, Il s’est retrouvé assis, au pied de la croix, la brume s’était levée. Il a regardé autour de lui. Personne, aucune trace de cette nuit embrumée. Il avait dormi et rêvé sûrement. Quand il a voulu se lever, ses jambes ne le portaient plus. Il avait un mal de chien dans ses chaussures. Il a pris le chemin du retour sur le quai. Il a rencontré un papy qui promenait son chien, il a voulu le saluer ; plus aucun son ne sortait de sa gorge. Là, la sueur a commencé à perler sur son front. Il a voulu tirer son mouchoir, mais à la place il a tiré un rouleau de papier, l’a déroulé. Des noms, une liste interminable de noms ! les noms des… ?

Quoi ?  j’suis devenu fou ! c’est quoi cette farce ?

   Il a passé la main dans ses cheveux et son bras a frôlé… la bombarde dans la poche de la veste ! dessus un papier accroché :« Tu nous as fait passer une belle nuit Yann Kornic, la danse, le chant, les histoires, c’était super. Pour la bombarde, tu ferais bien de retourner à l’école ! Ne nous oublie pas ! »

 

 

   Yann Kornic est rentré chez lui. Dans les rues, les boutiques étaient celles d’aujourd’hui, mais oui ! C’est dans les vieilles histoires qu’on revient 150 ans plus tard.

   Depuis, on dit qu’il a pris des cours de bombarde et il joue dans le bagad. Pourtant en ville, il passe pour un original, car, depuis ce jour, il fait le siège de la municipalité pour qu’on inscrive le nom de tous les passés de la Vilaine, sur la croix des marins ! Et ça n’est pas gagné !

 

A Redon, Ille et Vilaine (35)

 Maïck Conteuse - juillet 2022

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