Les deux maisons

Les deux maisons

Depuis longtemps déjà, ils se cherchaient…Ces deux là.

Finalement c’est au cœur de la forêt de Brocéliande, que Merlin et Viviane se sont rejoints, au bord du lac, au sommet d’un chêne.

L’arbre, comme s’enfonçant, lentement dans le lac, les a laissés à la surface de l’eau.

Ils ont marché ainsi, flottant dans l’air. A mesure qu’ils avançaient, plus rien ne les séparait. Merlin a murmuré à Viviane, les mots qu’il gardait en lui, depuis trop longtemps.

Une île est apparue au milieu du lac, un souffle d’air s’est glissé autour d’eux, emprisonnant Merlin à jamais, et ses pouvoirs avec.

Il n’est plus resté que l’ile. Cette île existe toujours, les bords ont un peu fondu, mais les fleurs s’y épanouissent et les oiseaux y nichent sans inquiétude. Sur le bord du lac, en face de l’île, le chêne est resté.

Au fil du temps, l’arbre a grandi, l’arbre a vieilli, mais l’arbre a gardé, enfermé dans sa sève, toute la magie de Merlin, tous les enchantements de Viviane. Merlin, ne pouvant plus participer au monde, a transmis à cet arbre toute sa connaissance. Il a aussi laissé un chat, son messager. Grâce à cela, avec bienveillance, l’arbre a guidé les petits peuples de la forêt. Serein, il a veillé au bon ordre des choses pendant des années.

Depuis toujours pensaient certains, et surtout pour toujours !

Mais un jour, une effroyable, abominable, inacceptable nouvelle, s’est répandue au cœur de la forêt, comme une trainée de pollen dans la brise.                           

« Les hommes vont couper le grand chêne ! »

Le silence qui a suivi cette incroyable révélation, s’est fait assourdissant. Le vacarme qui l’a suivi ne l’a pas été moins !

Chacun y allait de son commentaire, de son idée : on ne va pas ! il faut !  Y’a qu’à ! …Les esprits se sont échauffés, le ton a monté.

Quand une voix calme et profonde, descendue de la canopée est venue couvrir le brouhaha.

Le grand chêne parlait : « Ne vous faites pas plus ignorants que vous l’êtes. Vous le savez tous, les forestiers nous font naître, nous éclaircissent, nous élèvent pour qu’un jour, notre bois, chauffe, navigue, bâtisse, construise. Alors quand arrive le moment, partons contents de laisser la place à nos enfants, à ceux qui feront la forêt nouvelle. Mon tour est arrivé, c’est ainsi ! »

Le lendemain, trois forestiers ont découpé l’arbre avec un soin infini, empreint de respect et de bienveillance.

Le chat, lui, a quitté la forêt. Parti, on ne sait où.

Le grand chêne a voyagé, et son tronc, débité en poutres, s’est retrouvé, mât dressé vers le ciel, poutres maitresses de belles demeures, linteaux de cheminée, escaliers tordus.

Empli de la magie de Merlin, le grand chêne a ainsi continué à vivre et à répandre ses enchantements, au cœur de la ville, d’une maison à l’autre.

Il a aussi murmuré à l’oreille des enfants du chat, messagers de Merlin dans le monde des hommes, sur les rebords des fenêtres ou des cheminées, en haut des escaliers, dans les greniers.

Mais le grand chêne n’a pas laissé n’importe qui s’installer entre ses murs. Il a toujours accompagné, Voyants, Astrologues, Apothicaires, prodiguant ses conseils, transmettant ses recettes, ses prédictions. Faisant vivre ainsi, Merlin et Viviane jusqu’à nos jours.

Vous me direz que tout cela n’est que légendes pures,

peut être…

Mais si vous parcourez les vieilles rues de la ville de Vannes vous verrez que certaines maisons, se touchent presque, d’un côté à l’autre de la rue. Elles se penchent les unes vers les autres, avec bienveillance et se racontent leurs secrets.

Et si vous venez la nuit, vous entendrez murmurer, miauler, feuler, les chats ; faisant réunions et conciliabules, préparant leurs messages pour Merlin.  Attention, ils n’aiment pas être dérangés !

(Maïck Conteuse, documenté d’après La grande Oreille n°83,et les chats sorciers de Paul Sebillot)

(Dessins et photos de Maïck Conteuse)